INITIALES DD

Alors que le Festival de Cannes célèbre son 70ème anniversaire, Danielle Darrieux fête ses 100 ans. Un livre, fruit d’une longue enquête, revient sur le parcours d’une comédienne qui débuta à 14 ans. Flashback.

Dans la comédie décalée, Pièce montée, il y a sept ans, Danielle Darrieux pouvait encore nous étonner et nous émouvoir en campant l’amoureuse d’un ancien soupirant, devenu abbé, et joué avec son flegme irrésistible par Jean-Pierre Marielle, dans Pièce montée. Depuis ses débuts à l’âge de 13 ans, Danielle Darrieux, alias DD, n’a cessé de marquer les écrans de nos nuits blanches et est parvenue à jouer avec une grâce incomparable à toutes les étapes de sa vie.

Journaliste et universitaire, Clara Laurent retrace, à l’occasion du centenaire de l’artiste (le 1er mai), une si riche carrière en évoquant tous ses films ou presque dans Danielle Darrieux- Une femme moderne (*). En mêlant la biographie et l’étude critique, l’auteure revient sur le parcours d’une artiste qui tourna dans 103 films, dont certains restent des chefs d’œuvre comme Madame de…, d’Ophuls ou encore L’Affaire Cicéron, de Mankiewicz). Si l’actrice a toujours préservé sa vie privée, marquant une certaine méfiance face à la curiosité du public,  elle a livré bon nombre d’informations au fil des interviews, notamment dans la revue Cinémonde. En juillet 1934, elle disait tout de go : « Alors l’avenir ?… On verra bien. La vie est trop courte. On crève trop tôt. Mieux vaut profiter de tout ce qu’elle vous offre et la raccourcir de quelques années que vivre en vain durant cent sept ans !… » Icône de toute une génération, Danielle Darrieux a réussi la gageure de traverser sans coup férir des décennies de cinéma, touchant les générations les unes après les autres.

Dans les années 30, ce livre nous rappelle fort à propos que Danielle Darrieux suscita la même ferveur que la Brigitte Bardot des années 60, incarnant une femme des plus modernes. Clara Laurent souligne justement  : « Lorsque je me suis lancée dans l’aventure qui consistait à visionner tous les films de Danielle Dar‐ rieux, j’ai eu le sentiment d’effectuer un passionnant voyage dans le temps. Non seulement je visitais une histoire du cinéma français, avec ses films populaires et ses films dits d’auteur, mais j’avais aussi le loisir d’étudier l’évolution de la condition des femmes et de leurs rapports avec les hommes dans la société française. »

Il n’y a pas de révélations croustillante dans ces pages, mais l’auteure de cette biographie ne laisse aucun pan d’ombre dans le parcours de l’artiste, revenant notamment sur le voyage à Berlin en 1942 : il noircit un temps la réputation de l’actrice. Comme le rappelle la biographie, c’est le film Le Chagrin et la Pitié, de Marcel Ophuls qui reviendra en 1971 sur ce voyage qui choqua les esprits à la Libération, suite à des images d’actualités : 30 secondes qui ternirent un temps la réputation de l’actrice. Et Clara Laurent souligne que Danielle Darrieux avait accepté l’invitation pour sauver son compagnon d’alors, Porfirio Rubirosa, play-boy notoire, prisonnier en Allemagne. Et avec lequel, après avoir obtenu sa libération, elle se mariera discrètement à Vichy. Et, c’est après leur installation à Megève, qu’elle découvrira, suite à la disparition mystérieuse d’amis, la sinistre déportation des Juifs. Elle raconta dans sa Filmographie commentée : « Étonnée, puis inquiète, je me renseignais. J’eus alors, comme beaucoup de Français, la révélation des trains de déportés, des camps de concentration, l’horreur absolue. » Grâce au soutien d’Henri Decoin, son ancien mari, Danielle Darrieux parviendra à ne pas être trop inquiétée par le Comité d’épuration.

Ensuite, la vie reprendre son cours et Danielle Darrieux reprendra le cours d’une carrière brillante. Clara Laurent montre notamment comment certains films entre 1945 et 1949 méritent d’être réévalués. Et restera une combattante de la liberté féminine. En 1949, elle livre ainsi cette réflexion dans Cinémonde à un journaliste lui demandant si elle aurait aimé être la reine d’Espagne, un rôle qu’elle a tenu dans Ruy Blas : « Je n’aurais jamais supporté ces lourdes nattes et ce corset de fer. Et puis j’aurais fait fi des conventions, j’aurais tout laissé tomber… Je n’aurais jamais dit ces paroles : “Je ne vous par‐ donnerai jamais”, au contraire, je serais partie avec Ruy Blas… Vive la liberté ! Et le monde et toutes les obligations du monde, c’est le contraire de la liberté. »

Un parcours atypique qui vaudra à Danielle Darrieux un hommage appuyé de Jean-Claude Brialy qui déclarait en 1959 : « Je ne sais pas ce que j’admire le plus en elle : son métier d’actrice ou son cran de femme. » Une chose est sûre : il a valu un courage certain à l’artiste pour traverser toutes ces années et toutes ces péripéties – et les modes – sans perdre son âme. Une actrice aussi à l’aise dans les films d’auteurs que dans les comédies dites « légères ». On se souvient de sa réjouissante prestation en grand-mère originale en 2002 dans le film choral de François Ozon, Huit femmes. Et où l’actrice-chanteuse interprétait pour clore le film, Il n’y a pas d’amour heureux, le poème d’Aragon mis en musique par Georges Brassens.

DD, une femme éternellement libre. Toujours adepte du franc parler, elle avait déclaré au Quotidien de Paris en 1983 : « Je préfère les rôles de femmes mûres, décontractées. Ils sont plus intéressants que toutes les “conneries” que j’ai faites comme jeune première. »

(*) Ed. Hors Collection

 

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